Interviews et conférences de presse

La communauté internationale doit prendre des mesures pour mettre fin au siège du Haut-Karabakh: la tribune du Premier ministre dans le journal Le Monde

24.07.2023

Le journal français Le Monde a publié la tribune du Premier ministre Nikol Pashinyan. Vous trouverez ci-dessous une traduction de la tribune.

"Le 15 juillet, j'ai rencontré le président du Conseil européen, Charles Michel, et le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev. C'est la dernière d'une série de rencontres que j'ai eues avec le président azerbaïdjanais au cours des quatre derniers mois, sous différentes configurations et dans différentes capitales. L'Arménie a prouvé par ses actes qu'il existe une réelle volonté de la part du gouvernement et du peuple arméniens d’établir une paix durable dans la région.

Nous sommes fermement convaincus qu'une paix durable dans le Caucase du Sud peut avoir d'importantes retombées positives à l'échelle mondiale. Au cours des dernières années, l'Arménie est devenue un pays démocratique stable dans une région compliquée. Géographiquement, nous sommes un carrefour stratégique. Si nous parvenons à faire progresser notre programme de paix, à normaliser les relations avec nos voisins et à mettre en place de solides infrastructures de transport et d'énergie, la prospérité locale s'en trouvera accrue, les liens entre l'Asie et l'Europe resserrés, le commerce mondial et la stabilité internationale considérablement renforcés.

Bien que les contours d'un accord de paix soient en train de se dessiner, il reste des obstacles importants à sa concrétisation. Ces points d’achoppement, qui perdurent depuis une décennie, ne pourront être surmontés qu'avec le soutien de partenaires qui croient réellement en la paix dans le Caucase du Sud.

À l'heure actuelle, le principal obstacle à la paix est constitué par les actions agressives et illégales de l'Azerbaïdjan autour du Haut-Karabakh, en particulier dans le corridor de Lachin, mais aussi à l'intérieur des frontières de l'Arménie. Le corridor de Lachin est la seule route qui relie les Arméniens du Haut-Karabakh au monde extérieur. Depuis décembre, l'accès à ce corridor a été sévèrement restreint par l'Azerbaïdjan, prétextant des inquiétudes environnementales. Aujourd'hui, Bakou est allé un cran plus loin en installant un poste de contrôle frontalier à l'entrée du corridor, empêchant même l'accès du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Cela signifie que l'approvisionnement en nourriture, en médicaments et en produits de première nécessité est gravement perturbé. Amnesty International, Human Rights Watch, le Parlement européen, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et d'autres institutions internationales ont alerté sur la crise humanitaire en cours.

En plus de bloquer l'accès aux personnes et aux véhicules, l'Azerbaïdjan entrave délibérément l'approvisionnement en gaz et en électricité du Haut-Karabakh. Ces actions coïncident avec une rhétorique et une propagande de plus en plus agressives, et même des tirs de l’armée azerbaïdjanaise sur des agriculteurs locaux. L'objectif est clair: rendre la vie des habitants du Haut-Karabakh aussi difficile que possible et les forcer à quitter leurs maisons. Il s'agit là d'un exemple classique de nettoyage ethnique. Si la communauté internationale ne réagit pas, ce sera un nouvel échec pour l'humanité.

La communauté internationale doit prendre des mesures audacieuses pour mettre fin au siège du Haut-Karabakh, qui rappelle à bien des égards celui de Sarajevo. Le blocus est une violation par l'Azerbaïdjan de ses engagements juridiquement contraignants et surtout de nombreuses décisions sans équivoque de la Cour internationale de justice (CIJ). En février, la CIJ a déclaré que l'Azerbaïdjan devait prendre « toutes les mesures dont il dispose afin d’assurer la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens”. Depuis, cinq mois se sont écoulés et la situation s'est encore détériorée.

L'Union européenne a clairement indiqué que les actions de l'Azerbaïdjan étaient inacceptables. Elle doit maintenant utiliser son influence en tant que partenaire énergétique de premier plan de Bakou afin que l’Azerbiajan mette en œuvre sans délai l’ordonnance de la CIJ. Le Parlement européen et plusieurs parlements nationaux des États membres ont adopté des résolutions incitant l'UE à agir en ce sens.

La crise actuelle montre pourquoi il est essentiel de garantir les droits et la sécurité des 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh pour instaurer une paix durable dans le Caucase du Sud. L'Union européenne et les autres partenaires internationaux ont un rôle essentiel à jouer. Un dialogue direct et institutionnel doit s'instaurer entre Bakou et les autorités démocratiquement élues de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh. Pour être efficace, ce dialogue nécessite la mise en place d'un mécanisme international et des garanties de la part de partenaires internationaux afin d'assurer la sécurité et veiller au respect des obligations des parties prenantes.

Les droits et la sécurité des personnes vivant dans le Haut-Karabakh sont une question clé qui doit être considérée en priorité pour parvenir à une paix digne et durable dans notre région. D'autres sujets doivent également être abordés: L'Azerbaïdjan refuse toujours de reconnaître les frontières internationalement acceptées, occupe des parties du territoire souverain de la République d'Arménie et détient encore des prisonniers de guerre qu’il s'était pourtant engagé à restituer en 2020. Les autorités de Bakou recourent à la force et à la menace d'une nouvelle escalade militaire pour atteindre leurs objectifs irrédentistes. Cela ne saurait être toléré; le sabotage systématique du processus de paix doit avoir des conséquences. Sinon, les forces azerbaïdjanaises qui ont encerclé le Haut-Karabakh se penseront libres d'agir en toute impunité.

L'Arménie apprécie grandement les efforts de médiation et de facilitation déployés par l'UE, en particulier la mise en place de la mission civile de l'UE en Arménie. Celle-ci accomplit une tâche essentielle en surveillant notre frontière internationale avec l'Azerbaïdjan, en renforçant la stabilité sur le terrain et en aidant à instaurer la confiance avec les personnes vivant dans les zones frontalières.

Le renforcement des relations avec l'Union européenne figure parmi les principaux objectifs de politique étrangère de mon gouvernement. L'UE a été fondée sur les principes de démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit. Ces mêmes principes sont au cœur de l'identité arménienne. Le gouvernement et le peuple arméniens ont choisi la voie des réformes politiques et institutionnelles pour sauvegarder les droits de l'homme, renforcer l'État de droit, la liberté de la presse et lutter contre la corruption. Les progrès de l'Arménie dans les classements internationaux reflètent nos avancées en la matière et notre détermination, et le soutien de l'UE dans ces processus est très apprécié.

Cet engagement inébranlable en faveur d'un avenir démocratique a aidé le peuple arménien à persévérer dans les moments difficiles. Il continuera à le faire alors que nous cherchons à forger une paix durable dans la région. Aujourd'hui, nous avons la possibilité de parvenir à un tel accord. Le gouvernement arménien s'est engagé dans ce processus et a pris des mesures importantes pour y parvenir. Nous avons maintenant besoin du soutien de l'Europe et des partenaires du monde entier pour veiller à ce que l'Azerbaïdjan respecte également ses engagements et ses obligations internationales. Si nous y parvenons, un accord de paix durable pourra avoir des retombées véritablement mondiales. "

← Retour à la liste d'actualité