Interviews et conférences de presse

Premier ministre : sur les lieux de Stepanakert, touchés par les bombes, on ne voit apparaître aucun infrastructure militaire, ni, même aucun militaire.

17.10.2020

Le Premier ministre Nikol Pashinyan a accordé une interview à France-24. Nous la présentons ci-dessous:

France-24 - Merci, monsieur le Premier ministre, d'avoir accepté de donner une entrevue. Nous savons que c'est une periode très troublée pour votre région. J’amarais attirer votre attention sur une carte qui est largement circulée sur les plateformes internationales. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec cette carte. Là, l'Arménie est à gauche et l'Azerbaïdjan est à droite et au centre ce qui est peint en rouge dans le territoire azerbaïdjanais, c'est l’Haut-Karabakh - la région qui a annoncé son indépendance au début des années 90. Aucun membre de l'ONU n'a reconnu son indépendance, ni même votre pays.

Récemment, vous avez pris une approche extrêmement dure pour résoudre le problème. En particulier, vous vous êtes rendus au Haut-Karabakh et vous avez declaré que l'Artsakh est l'Arménie. Ici, je dois répéter à nouveau, Monsieur le Premier ministre, qu'aucun des États membres de l'ONU n'est pas d'accord avec cette déclaration.

Premier ministre Nikol Pashinyan - Tout d'abord, malheureusement, je ne vois pas la carte que vous avez montré, je ne peux pas la commenter. Quant à la déclaration que vous avez cité, il est très important de connaître l’histoire de la question du Haut-Karabakh, car vous avez-vous même parler qu’il s’agit d’un territoire contesté. Malheureusement, jusque à présent les médias internationaux présentent la question du Haut-Karabakh comme un cinflit territorial. Et la raison en est que l’histoire de l’origine de la question du Haut-Karabakh a été oubliée.

En 1988, pendant l'époque soviétique de reconstruction et de démocratisation, la population du Karabakh, en profitant des réformes de Gorbatchev, a décidé de restaurer ses droits. Et ces droites ont été violées lors de la formation de l'Union soviétique, lorsque, par la décision arbitraire de Staline, le Haut-Karabakh, avec une population arménienne à 80%, a été rattaché à l'Azerbaïdjan soviétique,au lieu d'être inclut dans l'Arménie soviétique. Et en 1988, le parlement de la région autonome du Haut-Karabakh a pris la résolution d'unir à l'Arménie, c'était un processus absolument pacifique. Je voudrais souligner qu'à cette époque, ce mouvement était consideré comme un mouvement de démocratisation de l'Union soviétique, beaucoup en Europe ont dit que c'était à la suite du processus engagé par le mouvement du Karabakh que le mur de Berlin s'est effondré. Et l'Azerbaïdjan soviétique a répondu à cette décision politique pacifique par la violence, avec le meurtre d'Arméniens dans les villes de Sumgait et Bakou. Et c'est ainsi que le conflit a éclaté.

Quant à la période de l'effondrement de l'Union soviétique, lorsque l'Azerbaïdjan soviétique a proclamé son indépendance de l'Union soviétique, la région autonome du Haut-Karabakh, en profitant de la législation soviétique, que si la république soviétique accède à l'indépendance, l'union autonome en son sein peut décider de son statut et de déclarer son indépendance. Quant au fait que jusqu'ici personne n'a reconnu l'indépendance du Karabakh, c'est pourquoi la lutte du peuple du Karabakh, le peuple arménien, se poursuit, afin que le peuple du Haut-Karabakh ait la possibilité d’appliquer son droit à l'autodétermination.

Et pourquoi l'Artsakh, le Haut-Karabakh, c’est l'Arménie? Si vous êtes au Karabakh aujourd'hui, vous y verrez des églises arméniennes des 4ème, 5ème, 7ème, 10ème, 13ème siècles. La première école arménienne a été créée sur le territoire du Haut-Karabakh. De plus, 80% de la population du Haut-Karabakh ont toujours été des Arméniens. Et l'Arménie signifie le pays des Arméniens. Le Haut-Karabakh a été un pays d'Arméniens tout au long de son histoire. Et je tiens à souligner que, oui, ce n'est pas un conflit territorial, c'est une question d'application des droits de l'homme, parce que, comme je l'ai déjà dit, les Arméniens du Haut-Karabakh sont en danger existentiel. En 1988, il y avait ce danger existentiel.

France 24 - Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué le droit du peuple du Haut-Karabakh à l'autodétermination. Je voudrais évoquer les réglementations existantes dans le cadre du droit international. En particulier, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté un certain nombre de résolutions concernant le Haut-Karabakh et vous savez, Monsieur le Premier ministre, on déclare que ces territoires ont été occupés.

Premier ministre Nikol Pashinyan - Qui a occupé ces territoires? Si vous regardez attentivement ces déclarations …

France 24 - Par exemple, la résolution 62243 fait état des territoires occupés de l'Azerbaïdjan, évidemment l'Azerbaïdjan n'occupe pas ses propres territoires.

Premier ministre Nikol Pashinyan - Je vais continuer ma phrase. En fait, les Arméniens du Haut-Karabakh se trouvaient en danger existentiel. Avant de débuter le mouvement, ce danger existentiel rampait dans le sens où la politique de l'Azerbaïdjan était dirigée contre l'identité arménienne. Et avant que le mouvement commence, ce danger existentiel était déjà devenu une menace directe, car on a utilisé la force contre les Arméniens du Haut-Karabakh. Et pendant la période de la proclamation d'indépendance, des opérations militaires complètes ont été lancées contre le Haut-Karabakh. Des villes, des villages, des colonies ont été bombardés, les gens n'ont pas eu la possibilité de vivre dans leurs appartements pendant environ 2 ans. Et comme aucune force internationale n'arrêtait pas ce processus, le peuple du Haut-Karabakh a organisé d'autodéfense.

Si vous regardez de près les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, vous verrez qu'ils ont clairement indiqué que l'Azerbaïdjan a violé l'accord de cessez-le-feu, à la suite de quoi il a perdu des territoires. Ces territoires ont été perdus grâce aux efforts des forces d'autodéfense du Haut-Karabakh et des forces arméniennes locales. Aujourd'hui aussi, l'Azerbaïdjan ne respecte pas le cessez-le-feu et cela peut avoir de lourde conséquences pour toute la région dans son ensemble, y compris l'Azerbaïdjan.

France 24 - Monsieur le Premier ministre, il nous reste peu de temps. Je voudrais évoquer la rhétorique que vous avez employé concernant la Turquie. Vous dites que la Turquie soutient l'Azerbaïdjan avec de moyens militaire et diplomatique. Vous dites que la Turquie est impliquée dans un politique génocidaires contre le peuple arménien. Le soutien de vos partenaires internationaux, en particulier de la Russie, n’est pas si grand. Selon vous le monde ne comprend pas le problème ou on ne s’occupe pas?

Premier ministre Nikol Pashinyan - Tout d'abord, il faut rappeler que de nombreux pays, y compris les coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE, ont déjà reconnu que la Turquie était impliquée dans les hostilités et que la Turquie avait encouragé ces hostilités.

Ensuite, de nombreux représentants de la communauté internationale, des pays, des États dont la Russie, l'Iran, la France et d'autres pays - ont reconnu que la Turquie avait transféré des mercenaires de Syrie vers l'Azerbaïdjan pour combattre dans l’Haut-Karabakh. Et, en fait, je dis que, oui, la Turquie est retournée au Caucase du Sud 100 ans plus tard pour poursuivre sa politique génocidaire envers les Arméniens. Mais elle a un objectif pragmatique très concret, car les Arméniens du Caucase du Sud sont le dernier obstacle sur le chemin de la Turquie pour poursuivre sa politique expansionniste au nord, à l'est et au sud-est. Et tout cela doit être analyzer dans le contexte de la politique que la Turquie mène en Méditerranée, en Syrie, en Irak, dans ses relations avec la Grèce, dans ses relations avec Chypre, et le monde doit y faire face. J'ai dit que si ce fait n'était pas correctement évalué, l'Europe devrait attendre la Turquie près de Vienne.

France 24 - Monsieur le Premier ministre, nous avons peu de temps, mais j'aimerais vous poser une dernière question. Répondant à une question récente sur le meurtre de civils, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a accusé l'Arménie d'avoir déployé du matériel militaire à proximité immédiate des colonies civiles, ce qui, à son avis, a fait de nombreuses victimes civiles. Votre commentaire, monsieur le premier ministre.

Premier ministre Nikol Pashinyan - Vous savez, une vidéo a récemment été publiée sur le bombardement de la capitale du Haut-Karabakh, Stepanakert, et les médias internationaux ont filmé ces scènes. Et j'ai remarqué que sur les lieux de Stepanakert, touchés par les bombes, on ne voit apparaître aucun infrastructure militaire, ni, même aucun militaire. Cela se fait dans le cadre d'une politique génocidaire. Aliev, comme l’Azerbaïdjan auparavant, a aujourd’hui la tâche de génocide des Arméniens du Haut-Karabakh et de faire un nettoyage ethnique.

Et les médias internationaux peuvent prouver que ce qui suit se passe à Stepanakert: es maisons des gens sont complètement détruites afin qu'elles ne puissent plus y vivre à l'avenir. Et c'est pourquoi nous disons que les Arméniens du Haut-Karabakh sont en danger existentiel, la solution à ce problème en est une: la communauté internationale doit reconnaître le droit du Haut-Karabakh à l'autodétermination dans le cadre du principe de «sécession- remed ». Parce que le Haut-Karabakh, les Arméniens du Haut-Karabakh ne peuvent pas exister sous le contrôle de l'Azerbaïdjan. La communauté internationale doit reconnaître l'indépendance du Haut-Karabakh. Et je suis heureux, que ce processus ait commencé en Europe au niveau de l'autonomie locale et des conseils municipaux. Et nous espérons que ce processus sera répandu.

France 24 - Monsieur le premier ministre, la dernière question. Vous jouissez d'une autorité sans précédent dans votre pays. La communauté internationale a montré une très bonne attitude envers votre gouvernement.

Plus récemment, en 2018, à la suite d'un processus de paix connu sous le nom de révolution de velours, vous êtes arrivé au pouvoir. Pourquoi ne pas utiliser votre autorité pour mener des négociations constructives, qui, comme vous le savez, impliquent un compromis - des concessions territoriales, ce qui est une bien meilleure option que les morts et les destructions que nous voyons aujourd'hui, dont nous sommes témoins depuis des décennies pendant ce conflit azerbaïdjanais ?

Premier ministre Nikol Pashinyan - J'ai essayé de le faire, j'ai proposé un compromis, mais au cours de ces processus de négociation, il devient évident que l'Azerbaïdjan et aujourd'hui la Turquie, ne veut pas laisser sa politique de génocide. Et encore une fois, cela signifierait que vous devez dépenser pour ces processus. Parce que l'Azerbaïdjan, désormais également avec le soutien des terroristes turcs, s'est donné pour tâche de commettre le génocide des Arméniens du Haut-Karabakh.

France 24 - Pouvez-vous nous présenter plus concrètement, Monsieur le Premier Ministre, quelles concessions êtes-vous prêt à faire? Je vous demanderais de parler de la soi-disant zone tampon dans ce contexte.

Premier ministre Nikol Pashinyan - Bien sûr, je peux être plus concret. Lorsque je suis devenu Premier ministre, j'ai proposé pour la première fois la formule suivante. Vous savez, on parle toujours de concessions. Il faut d'abord avoir un concept: comment résoudre le problème? Si quelqu'un pense que la partie arménienne devrait faire des concessions unilatérales, il parle de la capitulation de la partie arménienne. Ce n'est pas un règlement. J'ai proposé que nous comprenions d'abord la formule de la solution au niveau conceptuel. Et j'ai dit que toute solution au conflit du Haut-Karabakh doit être acceptable pour le peuple arménien, pour le peuple du Haut-Karabakh, pour le peuple azerbaïdjanais. Et je suis le premier leader impliqué dans le processus de négociation à dire que toute solution doit être acceptable pour l'autre partie. Cependant, l'Azerbaïdjan continue sa position, affirmant que la solution du problème ne devrait être acceptable que pour le peuple azerbaïdjanais, ce qui signifie en fait que le Haut-Karabakh doit être nettoyé des Arméniens par du nettoyage ethnique.

France 24 - Merci, Monsieur le Premier Ministre, nous aimerions vous poser d'autres questions. Mais, malheureusement, le temps ne le permet pas.

Premier ministre Nikol Pashinyan - Merci.



 

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